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Puis c'est dans les années 1970 que ce poing-là assoit sa réputation. Le club privé gay les Catacombes, à San Francisco, devient un laboratoire du plaisir où amateurs de pénétration manuelle se retrouvent à l'ombre de la morale et de la norme sexuelle. L'anthropologue américaine Gayle Rubin explique dans un article que ce «Temple du trou du cul» a permis une «exploration des capacités sensuelles du corps rarement possible dans les sociétés occidentales contemporaines». Depuis, les slings, ces assises de cuir suspendues qui assistent les pénétrations anales, ont droit d'accrochage dans les clubs gays, signe que le fist s'est popularisé auprès de cette population. Mais dans l'imaginaire collectif, si cette main pénétrante est désormais connue, elle est aussi jugée douloureuse, violente, agressive et la pratique catégorisée «extrême». À mille lieux des expériences décrites par ceux qui l'apprécient. Deux ouvrages bousculent ces idées et révèlent la douceur et l'intimité de l'acte. Osez le fist fucking d'Erik Rémès, sorti en septembre aux éditions la Musardine, est un guide pratique pédagogique et une invitation au poing érotique. Fist, de Marco Vidal –un pseudonyme– publié en janvier (éd. La Découverte) remonte le temps, épluche les archives médicales et la littérature pour cerner la naissance de cette main introspective et révéler sa charge amoureuse. Marco Vidal précise d'abord dans son ouvrage que le fist n'est pas une variante de la partition sexuelle SM: «Pas de décorum, de donjon, de salles voûtées, de caves gothiques. Le fist est un peu au porno ce que l'oratorio est à l'opéra. Des positions fixes, des performances statiques. (…) Ce qu'il y a de plus théâtral dans le fist, c'est encore la façon de s'enduire de lubrifiant, comme un acrobate talque ses mains avant le numéro de voltige, avec une ostentation qui arrache des frissons aux spectateurs.» Le professeur de philosophie explique à Slate que l'on doit cette sale réputation davantage au statut «criminel» de la main qu'à celui, sulfureux, de l'anus: «Cette main qui pénètre le corps peut paraître violente, criminelle, comme une effraction de l'intimité dans un organisme très fragile. Pourtant, elle renonce alors à toutes ses puissances belliqueuses pour faire contact, apprivoisement et devient ainsi une main intime, érotique.» Histoire de taire l'hargneuse rumeur, l'auteur souligne que le sphincter «n'est pas un muscle que l'on commande mais un muscle que l'on séduit». La main puis l'avant-bras ne pénètre que sur invitation en somme (et avec renfort de lubrifiants). Erik Rémès développe: «C'est l'une des pratiques sexuelles qui demande le plus grand apprentissage. Cela peut prendre du temps, on peut s'y reprendre à plusieurs fois. Avec le fist, on apprend à se défaire de la nature. En amont, il y a tout un protocole de préparation pour une pratique safe qui peut prendre plus d'une heure entre les lavements, l'hygiène des mains et l'application de lubrifiants.» S'il est boudé par la plupart, reste que le poing érotique est moderne. Pas tant pour la récente apparition de cette pratique. Mais davantage pour les portes genrées et sexuelles qu'il enfonce: aucun rôle anatomique ou culturel n'est assigné. Homme, femme, hétéro, gay, bi, trans. Qu'importe. La pratique est transgenre, dégénitalisée, précise Erik Rémès: «Tout est transcendé, transversal. Le fist est l'avènement d'une nouvelle grammaire sexuelle. C'est la pénétration de l'âme par le poing. Si chez les femmes et les homosexuels, la capacité de se faire pénétrer est en quelque sorte acquise, cela demande peut-être plus de travail chez les hommes hétéros. Pour eux, l'anus est souvent un terrain de jeu inconnu, moins exploré voire détesté. Pourtant, l'homme est certes phallique, mais il est aussi prostatique et anal.» «C'est une résistance au pouvoir phallique, à cette fonction symbolique qui assigne une place active ou passive. Le fist crée un rapport d'égalité entre les partenaires. Il y a une confiance mutuelle totale, un abandon de la part du fisté qui ouvre son corps au fisteur. Cela demande une grande attention, de l'échange et de la communication. C'est le fisté qui guide la main.» L'exploration au poing nécessite en effet tact et doigté. La main s'aventure en profondeur et visite des zones ultra fragiles comme l'intestin, dont les parois sont aussi fines que du papier cigarette. Pour être sans danger, le fist s'inscrit donc dans la durée, patient et explorateur, à l'opposé d'un quicky expédié en deux temps trois mouvements. Quant au plaisir, le corps exulterait dans son ensemble, une extase globale au-delà de la jouissance des sexes. Ils sont d'ailleurs souvent hors-jeux érotiques quand la main invasive tient le premier rôle de l'attention corporelle. Marco Vidal emporte sa plume pour croquer ce plaisir organique de l'investigateur anal: «Le bouillonnement des parois artérielles, tendues comme par une érection, accélère sous la caresse le débit de cette verge au jet ininterrompu. L'orgasme de feu et de sang de cette masturbation rectale n'a rien de comparable aux maigres gouttes de lait soutirées au pénis au comble du plaisir. La vie ne fuit plus hors d'elle-même, elle court, ivre d'un bonheur fou, vers un cœur qui bande toujours, toujours plus fort, et vient prendre à la caresse intérieure qui le branle un plaisir sans degré et sans fin.» Sidonie Sigrist |
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