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De quoi les femmes ont-elles envie ?

Les femmes sont-elles un peu, beaucoup libérées ? Et leurs désirs, sont-ils insatisfaits, comblés ? Loin des stéréotypes, nous avons voulu savoir comment, en 2014, elles jugent leur vie sexuelle, quels sont leurs tabous, satisfactions, fantasmes, plaisirs.

 
 
Près de cinquante ans après Mai 68, s'il est une chose que la révolution dite sexuelle aura permise, c'est bien la libération de la parole, et particulièrement celle des femmes. Dans notre sondage, la quasi-totalité d'entre elles (97 %) a le sentiment qu'elles peuvent et osent parler davantage de leurs désirs sexuels, et ce, tous critères confondus, quel que soit leur âge, leur niveau d'études ou leur situation de famille. 82 % perçoivent d'ailleurs cette libération comme un phénomène positif. Les femmes se sentent plus libres d'exprimer leurs désirs, trouvent « facile » de parler de leurs positions préférées avec leur partenaire (70 %), de leurs pratiques (66 %) et de leur jouissance (64 %), moins toutefois de leurs fantasmes (49 %).

Elles pensent que les hommes en parlent et les réalisent plus souvent qu'elles. Ce qui ne surprend pas le psychanalyste et sexothérapeute Alain Héril : « L'inconscient collectif féminin reste encore imprégné de l'idée que le fantasme est masculin. Depuis vingt-cinq ans, dans mon cabinet, je reçois des femmes qui me disent qu'elles n'ont pas de fantasmes. Et quand je leur réponds qu'elles en ont peut-être mais qu'elles ne veulent pas y accéder, elles me regardent comme si ce n'était pas envisageable. Pourtant, les images fantasmatiques sont bien présentes en elles. Simplement, elles ne se donnent pas de droit d'entrée. »

La psychanalyste Sophie Cadalen partage ce point de vue et souligne que, souvent, « les femmes surestiment la capacité des hommes à parler de leurs fantasmes. Et si elles évoquent plus facilement leur plaisir, c'est que celui-ci est au coeur des codes en vigueur : supposé délicat pour elles, il ne cesse d'être interrogé comme un Graal à conquérir pour être une "vraie" femme ».

Est-ce à cause de ce mythe – le statut de « femme » qui ne s'atteindrait que grâce à l'épanouissement sexuel – que leurs attentes ne sont pas totalement comblées ?

Elles veulent faire plus et mieux l'amour

La note de satisfaction qu'elles décernent à leurs relations sexuelles n'est pas mauvaise, mais pas non plus exceptionnelle (7,1 sur 10). Si, comme le soutient Platon, et avec lui les psychanalystes lacaniens, désirer c'est manquer, alors la mission est accomplie. Les femmes sont loin d'atteindre la béatitude de la satiété. Moins d'une sur cinq attribue une note comprise entre 9 et 10 (19 %) à son plaisir au cours de ses rapports, tandis qu'un tiers se montre relativement critique en lui donnant une note inférieure ou égale à 6 sur 10 (30 %). Curieusement, le fait d'être en couple ou célibataire n'influe pas vraiment sur la note.

C'est un peu comme si le temps passé avec l'autre n'avait pas contribué à nourrir la complicité, la connaissance du corps et des goûts de celui qui partage leurs nuits. Si la plus forte proportion de femmes (21 %) qui donnent une note située entre 9 et 10 est mariée, ce sont également elles qui distribuent les plus mauvaises appréciations (elles représentent 27 % de celles qui attribuent une note entre 4 et 6 sur 10).

 
 
En termes de fréquence, en tout cas, la rareté des rapports sexuels n'est pas la norme. Aujourd'hui, une femme sur deux déclare faire l'amour au moins une fois par semaine (51 %, dont 4 % au moins une fois par jour, 27 % entre deux et cinq fois par semaine et 20 % une fois par semaine).

Malgré ces résultats, beaucoup souhaiteraient faire l'amour plus souvent. Presque une femme sur deux aimerait avoir des relations sexuelles plus fréquentes qu'aujourd'hui (47 %), et seulement 6 % avouent qu'elles préféreraient faire l'amour moins souvent (contre 46 % qui se montrent satisfaites de la fréquence actuelle de leurs relations sexuelles). Est-ce la vie quotidienne stressante qui les épuise et les éloigne du sexe ? Ou les hommes auraient-ils, à leur tour, « la migraine » ? Sont-ils effrayés par les femmes, particulièrement par les jeunes ? Les 18-24 ans sont en effet très nombreuses à affirmer vouloir faire l'amour plus souvent (61 %).

La psychanalyste Catherine Blanc refuse, elle, d'aborder le problème sous un angle quantitatif : « Nous n'avons pas besoin de faire l'amour quatre fois par jour. Que voudrait dire cette revendication : faire la démonstration de nos capacités ? La sexualité, c'est la rencontre de deux élans, celui du corps – la mobilisation du système nerveux – et ce que l'humain va en faire : refuser peut-être cette excitation corporelle, ou l'accueillir. Et qui sait, avoir un orgasme ? Tout cela dépend de l'individu, de son âge, de ses préoccupations et de sa quête dans sa relation au partenaire, mais aussi à la société. La sexualité est le théâtre de grands enjeux : nous ne sommes pas seuls dans un lit. Nous sommes avec notre corps, avec l'idée que nous en avons, mais aussi avec la relation, ses impératifs, la perception que nous nous en faisons, avec l'enfant que nous étions, avec ce que la société imagine de ce que nous devons être à 20, 30, 40, 50 ou 60 ans. »

C'est cette influence de l'environnement extérieur, des normes définies par la société, qui perturbe notre rapport à la sexualité, assure Sophie Cadalen. « L'angoisse de mes patients se résume toujours à cette interrogation : "Est-ce que je suis normal ?" Et à mon sens, quand les femmes affirment vouloir faire plus fréquemment l'amour, c'est de ça dont il est question car, pour le reste, elles ont l'air assez satisfaites : 7,1 comme note, ce n'est vraiment pas mal.

Se plaignent-elles parce qu'elles ont envie ou parce qu'"il faudrait" ? Honnêtement, j'ai l'impression que les femmes deviennent aujourd'hui de plus en plus actrices de leur sexualité. » Une affirmation corroborée par les chiffres : 53 % affirment prendre souvent l'initiative de l'acte sexuel. Les jeunes âgées de 18 à 24 ans sont 18 % à affirmer le faire très souvent (contre 6 % pour les 45-59 ans). L'égalité est en marche.

Elles jouent avec les codes et les rôles

La domination uniquement masculine dans les rapports sexuels a pris fin, comme le démontrent les réponses concernant les pratiques sexuelles. Dans ce domaine, en effet, les femmes semblent s'amuser de plus en plus à changer les rôles et à en jouer. Et 81 % n'ont pas honte de leurs désirs. Seulement un tiers d'entre elles aiment être dominées pendant l'amour (33 %), tandis qu'une sur quatre prend plaisir à dominer l'autre (26 %).

Ce rejet d'un rapport de force unilatéral se retrouve d'ailleurs dans les préférences en termes de positions. Si le pourcentage de femmes préférant être sous leur partenaire pendant l'amour reste élevé (76 %), celui de celles préférant être sur lui l'est aussi (68 %), même s'il reste légèrement inférieur. Cette différence de huit points est essentiellement due à des raisons générationnelles : les femmes de plus de 60 ans apprécient moins que les plus jeunes d'être sur leur partenaire. Les 18-24 ans jouent encore plus facilement que les autres de cette alternance dominant-dominé, passant de l'un à l'autre sans difficulté : 70 % aiment être dominées, 56 % dominer.

 
 
Sophie Cadalen voit là les signes d'un enrichissement très prometteur dans les rapports, même si, souligne-t-elle, « être sur l'homme peut aussi être une réponse à son envie à lui, une forme d'obéissance. On est tout à la fois sujet et objet dans la sexualité, et les jeunes générations semblent assumer davantage ces rôles et leur alternance. À l'époque de la révolution sexuelle, il y avait quelque chose à revendiquer par rapport au sexe dit fort. C'est moins le cas aujourd'hui. En filigrane, il me semble que nous ne sommes plus tellement dans une compétition hommes-femmes. Je trouve que les choses s'équilibrent ».

De plus en plus détachées, affranchies des rapports de force classiques, les femmes ne sont pas pour autant adeptes de pratiques très transgressives. La plupart déclarent ne pas apprécier ou ne jamais avoir essayé d'attacher, d'être attachées (40 %), d'être fessées ou de donner une fessée (48 %). Quant aux sex-toys, elles sont peu nombreuses (27 %) à en utiliser.

Sophie Cadalen n'est pas étonnée « que la sexualité, dans sa pratique, ne soit pas plus variée ou aussi "ébouriffée" qu'on voudrait le laisser croire. Faire bien l'amour ne réclame par forcément une imagination débridée et des surenchères. Ces résultats remettent bien les pendules à l'heure et font s'écrouler quelques pans fantasmatiques d'une sexualité qui serait ou devrait être supercréative, audacieuse ou terriblement frustrante ».

Certes, parmi les plus jeunes (les 18-24 ans), presque une femme sur deux avoue apprécier être attachée pendant l'amour, attacher son partenaire (respectivement 44 % et 43 %) ; fesser, être fessée (31 % et 36 %) ; mais, contrairement aux apparences, ces pratiques seraient moins le signe d'une liberté sexuelle que d'une aliénation à certains impératifs comme celui de devenir des « grandes », ainsi que l'explique très justement Catherine Blanc.

« Le désir n'est pas qu'une histoire physiologique. À 20 ans, il évoque aussi le fait que je vais laisser la petite fille que je suis derrière moi, éclaire-t-elle. Que veut dire pour moi l'acte sexuel ? S'agit-il de témoigner de ma capacité à aimer quelqu'un d'autre que mes parents ? De m'inscrire dans la société des adultes ? De "m'envoyer en l'air" comme la star que j'admire ? À cet âge-là, on est difficilement au plus près de ses sensations personnelles. C'est certainement la période où l'on est finalement le moins libre, le moins détachée des diktats contemporains. La sexualité, et plus encore le devoir de performance, témoignent actuellement du pouvoir de l'individu. Dans le discours des jeunes femmes, il est ainsi question de la sexualité pour la sexualité, avec l'utilisation de mots parfois très crus ou désincarnés, comme "prendre son pied". Elles ont le projet de faire l'amour parfois comme elles vont au club de gym, mais ce n'est qu'une posture au travers de laquelle elles se cherchent. »

Elles veulent avoir confiance en elles

Une attitude destinée à masquer un manque d'assurance, car quand on les interroge sur ce dont elles auraient besoin pour accroître leur plaisir, 41 % des 18-24 ans répondent « plus de confiance en moi ». Cela dit, le sujet concerne l'ensemble des femmes. Tous âges confondus, c'est ce dont elles affirment d'abord avoir besoin (31 %), devant la tendresse (28 %), les préliminaires (28 %), la sensualité (25 %), les attentions (24 %), l'amour (20 %), l'audace (18 %), l'imagination (18 %) et la délicatesse (17 %).

Pour Sophie Cadalen, le manque de confiance en soi qui, selon les femmes, les empêche d'atteindre la plénitude, est précisément tout ce qui fait l'intérêt et le sel du sexe : « Une sexualité ne s'embrasse vraiment que lorsqu'on renonce à une parfaite confiance en soi. Certes, nous savons ce que nous voulons, nous savons ce que nous assumons quand nous faisons l'amour, mais il s'agit dans ce cas précis d'assumer un vertige plutôt que d'agiter des pratiques. Et plus nous tenterons de cerner la sexualité, de la « normer », de la chiffrer, de la contrôler, plus elle nous échappera. Les femmes sont encore régies par des tas de clichés, des préjugés, des automatismes. Elles tâtonnent, mais leurs hésitations sont, à mon avis, très bénéfiques : elles sont le signe d'une relation à l'autre plus équilibrée et égalitaire. » Après la révolution et les revendications, voici peut-être venir le temps de la pacification.

Hélène Fresnel
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